Après La Beauté du Jour, Vu D’Ici est le second recueil de chansons de Ben Lupus. La formule est minimaliste, l’esthétique singulière, et le résultat touche droit au cœur : une voix nonchalante, une guitare acoustique rehaussée de discrètes nappes de clavier et de percussions synthétiques, forment le cadre intimiste dans lequel ces 6 ballades déroulent leurs histoires d’amour, de (petite) mort et de quête d’absolu.
Vu D'Ici est un EP bordé par les eaux : un disque d'océan, de pinèdes et d'été indien, de villes portuaires en hiver, de rivières sous le soleil ou de lacs d'altitude au petit matin. On parcourt ces chansons comme on suit un chemin - et , comme dans les fables, on croise un merle moqueur, une abeille à l'agonie, quelques ombres spectrales, des amours perdues, on entend même le brame du cerf. Vu D'Ici s'ouvre sur l'appel du large (Barbara), pour aboutir, dans la quiétude domestique de la chanson-titre, à une véritable épiphanie: "Tout prend forme, tout existe, chaque chose exactement à sa place".
Sur ces morceaux enregistrés en studio dans l'intimité la plus resserrée, avec la plupart du temps pour seule compagnie le producteur Nico Mataharie, on retrouve néanmoins quelques contributions des amis fidèles de Coming Soon - confrérie indie rock, qu'on retiendra comme l'une des principales antennes françaises de l'internationale antifolk, et au sein de laquelle Ben Lupus a appris à fabriquer des chansons, souvent avec les moyens du bord, toujours avec amour. Un amour qu'on retrouve aujourd'hui intacte dans cet EP qui, à bien des égards, se présente comme un disque brut et dépouillé, mais qui est en même temps le fruit d'un considérable travail d'arrangement, d'une méticulosité et d'un sens du détail qui devraient ravir les connaisseurs.
Vu D'Ici commence avec Barbara, une chanson mélancolique qui émerge d'une rythmique mi-électronique mi-acoustique, entre groove proto-acid et percussions noh, pour laisser entendre tout ce qui fait la force de l'écriture de Ben Lupus : lettrée mais économe, personnelle et universelle à la fois, en parfaite adéquation avec la sincérité de la voix qui la délivre, et qui assume sa fragilité lorsqu'il le faut - comme par exemple sur Cet endroit, ballade folk métaphysique, où la pensée obsédante de la mort nourrit paradoxalement l'affirmation de la vie.
Alors que La tempête en est peut-être ici l'expression la plus aboutie, on retrouve, tout au long de ces six titres, la même attention esthétique portée à la trame rythmique et aux textures : jusque sur Encore une fois, où la cadence n'est plus donnée que par quelques nappes qui évoquent plutôt le bruissement des feuilles, le bruit de la pluie ou encore le tintement de lointains carillons dans le vent, tandis que Ben est rejoint par les choeurs murmurés de Bibie Mataharie; autant de matières sonores qui nous ramènent au travail électronique instrumental de Ben Lupus, sous l'alias Forêt Future - comme l'envolée finale de Vu d'ici nous rappelle que le musicien est également la moitié du duo mystico-alpin Mont Analogue.
À l'image de son prédécesseur, Vu D'Ici est un disque qui n'en est pas un, puisqu'il se présente en fait sous la forme d'un livre (avec code de téléchargement) illustré par l'artiste. Les aquarelles de La Beauté Du Jour laissent ici place à un noir et blanc qui doit autant aux cartoons des studios Fleischer qu'à la gravure médiévale. On y lit les textes des chansons, agrémentés de courtes notes, d'explications ou de variations sur celles-ci, sous forme de dessins ou de pages de bd, dans une légèreté de ton qui n'exclue pas une certaine ambition littéraire. Bien plus qu'un simple bonus, l'association des versants musicaux et visuels de Vu D'ici forme une oeuvre dense et cohérente, qui crée son propre langage, où la riche iconographie et les fragments d'anecdotes viennent éclairer les chansons, tandis que la musique elle-même donne vie au trait de Ben Lupus.
-Lien de téléchargement inclus
-Nombre de pages : 48
-Dimensions : 18x18cm