Premier album de Horla, Fantômes inaugure la série de longs formats “Albe” sur Le Cabanon Records. Fantômes est un isthme musical, une frontière peu arpentée, corridor sonore où s’invitent corps animés, bruits et songes, murmures instrumentaux et boisés. Contemporaine de deux années passées à Madagascar, l’écriture de ce disque fut témoin de l’insolente profusion et des allures fantasmagoriques de la Nature tropicale, de rituels étranges, d’animisme et autres relations mystérieuses au Végétal et aux phénomènes sensibles.
Horla a recueilli la poétique de ces espaces-temps, l’a circonscrite dans une coquille vide, l’a portée au musical comme on porte le sujet en peinture pour en révéler l’impérissable, le drame, débarrassés de l’anecdote et de l’inertie du quotidien. Ainsi, de ces mondes de passages, de cycle et de perméabilité, se révèlent les ambiguïtés du rythme et du temps, de l’harmonie et du ton.
Emprunt de vastes errances géographiques, cet album offre des couleurs sonores qui ne posent véritablement pied nulle part, sinon dans l’évocation toujours subtile d’une nature des sons, non sans liens avec les sons de la Nature. Ces couleurs sont faites de fusions de timbres synthétiques et instrumentaux, la synthèse par modélisations physiques s’indistingue parfois de prises microphoniques d’instruments acoustiques, qu’approchent à leur tour certaines sonorités de synthèse plus traditionnelles (FM, granulaire). Ces corps sonnants, interagissent, s’enlacent, se résorbent et se dérobent au sein de temporalités relatives, où les grilles rythmiques, empruntant parfois aux végétaux, s’enchevêtrent les unes dans les autres.
De ces idéalités sonores, demeure un ancrage dans la concrétude, réveillant le pouvoir mnésique de l’ouïe, matérialisé par des captations en extérieur ; où bambous craquant sous le vent, pierres humides balayées par les flots et ryad à l’écho aride se dessinent à l’horizon. C’est en cherchant des modèles dans le spectacle polymorphe et unifié qui lui parvint de cette Nature, que le compositeur use de stratégies stochastiques pour caractériser, orienter, varier et développer ses matériaux (rythmes, échelles, enveloppes) dans une phase pré-compositionnelle. Ces objets musicaux seront par la suite affinés via un travail méticuleux d’édition et d’écriture créant une tension entre déterminisme et chance, tel l’ordre complexe que l’homme ne saisit point et nomme chaos face à l’immense hétérogénéité d’une jungle tropicale. Avec Fantômes, Horla dévoile une poétique d’espaces mus par la dépendance d’une multiplicité de replis-déplis, nous invitant à renouveler sans cesse notre écoute ; de l’infime au geste global, du bruit au son, de l’écart des timbres à leur fusion. Dans cet espace et son écoulement temporel, s’invente une musique mythifiante d’un ailleurs insaisissable et pourtant familier.