Une musique nouvelle. Une fiction. Un objet libéré des contraintes, des formats, des genres, des territoires. Le gospel d'un nouveau monde. Telle pourrait être la définition de Machines of Loving Grace, le nouvel album de Para one, de son vrai nom Jean Baptiste de Laubier.
Six ans après Club, huit ans après Passion, son précédent long format, cet amoureux des musiques électroniques qui met également depuis des années sa sensibilité au service du cinéma (les bandes sons de Céline Sciamma notamment) ouvre avec ce disque une nouvelle dimension dans son parcours artistique.
« J'avais besoin de sortir de patterns et de systématismes liés aux formats et de prendre des virages inattendus. Pour cela il a fallu avant tout m'autoriser ».
S'autoriser, et peut-être avant tout se confronter. À l'enfance, aux fantômes de l'enfance, avec ce qu'ils comportent de fantasmes, d'idéal, de souvenirs, de zones d'ombres. Revenir, sans pour autant renoncer à sa position d'adulte, d'artiste déjà accompli, aux sources de son imaginaire, à ce moment où la musique était porteuse d'une puissance quasi-mystique, d'un absolu. Le revisiter pour en faire quelque chose de nouveau. Tout comme Sanity Madness and the Family, le long métrage réalisé par Para One qu'il vient compléter et dont il est consubstantiel, Machines of Loving Grace a pour point de départ une enquête, autour d'un secret de famille et de la figure du père.
« Quand on part sur les traces- d'une œuvre, d'une personne, du passé-, on ne retrouve jamais vraiment ce qui était. On se trouve soi», explique Para One. Cette quête, identitaire, personnelle, se double pour le musicien et producteur d'une quête sonore. Machines of Loving Grace en est à la fois l'histoire et le résultat.
Après avoir défini la structure de l'album, Para One est parti sur les traces de ces sons, de ces figures tutélaires qui ont façonné sa sensibilité de musicien : La bande-son des anime japonais visionnés des centaines de fois, les percussions indonésiennes et le gamelan, les harmonies particulières, à la limite de la dissonance des Voix Bulgares ; la musique minimale d'un Steve Reich, ou encore la techno de Detroit. Plusieurs voyages, à Bali au Japon ou encore en Bulgarie sont ainsi venus nourrir l'album, se frotter et modeler les architectures électroniques de Para One.
À Bali, il s'est ainsi enfoncé dans la jungle avec le Groupe Suar Agung, qui joue du jegog, une forme particulière de gamelan, pour enregistrer le saisissant Silicon Jungle. À Sofia, il est parti à la rencontre du Mystère des voix Bulgares. « Leurs harmonies particulières à la limite de la fausseté volontaire, entre Orient et Occident me fascinent depuis longtemps. Le texte qu'elles chantent est une langue inventée L'idée, c'était vraiment de créer un chant traditionnel, cosmique, d'une autre planète. »
Leurs choeurs illuminent Shin Sekai, un des plus beaux titres de l'album, qui pourrait faire figure de manifeste : Télescopage émotionnel et culturel, il mêle des percussions enregistrées avec KODO sur l'île de Sado au Japon, un violon joué par Arthur Simonini traité comme du Arvo Pärt, un arpège électronique très transe - devenu au fil des ans une des signatures de Para One.
Il est également représentatif des tressages multiples, entre machine et main humaine, acoustique et textures électroniques, pratiques rituelles et arrangements contemporains, qui parcourent le disque et en font le mystère, l'étrangeté : Les instruments employés (guitare, marimba...) sont décollés de l'imaginaire folk, pop auxquels ils sont habituellement associés et re-traités par le producteur. « Je viens vraiment des textures électroniques et je le revendique. Pour la première fois, je me suis frotté à de l'acoustique, à de vrais instruments. Ce sont des mélanges difficiles à doser. C'est une ligne de crête qu'il faut pouvoir tenir. »
En onze titres, le disque qui s'ouvre comme un thriller avec Vertigo, un thème plein de danger, d'angoisse tapie dans les virages sinueux des routes des Alpes, entraine l'auditeur dans un voyage haletant, une odyssée mystique, sans cesse surprenante. On traverse les continents, plonge plusieurs minutes en apnée dans les fonds marins (Atlantique qui donne la sensation de réunir dans une même pièce Steve Reich, Rolando et Drexciya), reprend son souffle en écoutant de mystérieuses voix d'enfants égrener leurs souvenirs sur le plus atmosphérique Fauna ; repense un instant à The Orb ou Massive Attack (Alpes). Après une nuit noire en pleine Jungle (Silicon Jungle), vient le temps de la lumière, du nouveau. C'est Futatsu No Taiyo, ultime morceau de bravoure du disque, qui signifie « deux soleils » en japonais. Deux feux qui entrecroisent leurs forces, leurs énergies et donnent naissance à une musique nouvelle, réellement transcendante. Celle qui permet l'accès non pas à un divin, mais à un moi libéré du poids du passé. Une véritable renaissance.
Tracklist :
1. Vertigo
2. Shin Sekai
3. Virtual Satori
4. Sundial
5. Atlantique
6. Fauna
7. Alpes
8. Yret
9. Silicon Jungle
10. Ars Nova
11. Futatsu No Taiyo
Label : WRWTFWW Records