A quelques pas de l’église où Desmond Tutu organisait l’évasion des militants anti-Appartheid les plus recherchés de Soweto, répète le groupe BCUC. Un groupe au verbe haut, qui prend un tout autre écho dans ce container reconverti en restaurant communautaire
Pas de doute, le bouillonnant township n’a rien perdu de son énergie créatrice et révolutionnaire avec l’avènement il y a vingt ans d’une « Rainbow Nation » aux couleurs toujours ternes, et, Bantu Continua Uhuru Consciousness vit comme ses aînés sa musique comme une arme de libération politique et spirituelle tout autant qu’une transe hédoniste.
Héritiers de Philip « Malombo » Tabane ou Batsumi, ils cherchent à donner une expression contemporaine aux traditions ancestrales des peuples autochtones : les influences hip-hop et une énergie punk-rock ont remplacé le jazz si présent dans les productions des années 1970 et 1980. Tout a commencé voici une douzaine d’années dans un atelier d’un centre communautaire. Depuis la formation du groupe a peu changé, mais l’expression s’est profondément raffinée. Si le chant et les percussions ont toujours été au coeur de leur musique, ils ont pu par le passé s’essayer aux pistes « électroniques » et même s’adjoindre pendant de nombreuses années une guitare rock entre folk et free-jazz. Néanmoins, BCUC a trouvé sa formule magique en 2013 en ajoutant aux seules peaux et voix une furieuse basse électrique.
Telle est l’alchimie de l’« Africangungungu », le nom qu’ils ont donné à leur musique aux accents « afropsychédéliques ». Sur scène comme sur ce premier album commercialisé de leur carrière, leurs morceaux refusent tout formatage. Leurs « incantations » en zulu, sotho ou anglais et leurs modulations funky s’étendent sur une vingtaine de minutes, un tourbillon sonique qui n’est pas sans évoquer l’afro-beat de Fela.
Les rythmes Nguni se mêlent aux rythmes du peuple Tsonga, les sifflets des mineurs Bhaca et Shona rencontrent la corne traditionnelle Imbomu tandis que des chants de guerre ancestraux et les choeurs du Ngoma busuku (chants de nuit) se mêlent à la voix soul de la chanteuse Kgomotso et aux rap furieux de Jovi et Luja. ‘Yinde’ qui ouvre ‘Our Truth’ signifie la route, comme un symbole du chemin encore à parcourir vers une société sud-africaine plus juste. Dans le même sens, ‘Asazani’ (nous ne nous connaissons pas les uns les autres) plaide pour un rapprochement de toutes les composantes de la « nation arc-en ciel ». La volonté de BCUC d’affronter sans filtre les questions identitaires et sociales a déjà entraîné l‘interdiction de diffusion d’un de leurs morceaux de leur unique EP auto-produit qui mettait en cause une idole nationale… Mais ni cet évènement, ni les critiques auxquelles leur refus d’appartenir à un quelconque mouvement les expose ne les fera dévier de leur ligne de conduite : « Music for the people by the people with the people », un peuple qu’ils refusent d’enfermer dans une communauté, de délimiter à une couleur de peau.