Poni Hoax
A l’aube des années 2000, la France dort encore sur les lauriers acquis durant une décennie mirifique. Célébrés tels de petits princes, auréolés d’une aura magique que le pays de la guillotine n’a plus connue depuis le temps béni de la disco, les acteurs de la french touch ne prennent pas gare à la vague de groupes à guitares (The Strokes, The White Stripes, The Libertines...) qui s’abat brutalement sur la planète en rebattant les cartes du siècle qui s’ouvre : le futur sera rock ou ne sera pas. Pourtant d’autres hypothèses s’élaborent déjà dans une ébullition de labels indépendants qui surgissent alors de chaque côté de l’Atlantique. A New York, DFA publie ainsi Losing My Edge premier single dévastateur de LCD Soundsystem qui avance tambour battant tel un manifeste du temps présent : c’est en revisitant le passé (punk, post punk, disco, krautrock...) que l’on se projette dans l’avenir, c’est dans le choc frontal entre les feedbacks, le chant des machines et les rythmiques fatales de la dance music que la lumière surgira. Une philosophie adoptée au même moment à Paris par Tiger Sushi qui se présente lors de sa création en 2001 par Charles Hagelsteen et Joakim Bouaziz comme un ambitieux webzine exhumant les pépites de l’histoire de l’électro avant de se transformer progressivement en label.
« À l’époque, Michel Esteban de Ze Records nous avait convaincu d’héberger sa boîte postale chez Tiger Sushi. » se souvient Joakim « Laurent Bardainne lui avait déposé une démo sans destinataire. On a donc écouté les bandes de ce groupe qui s’appelait alors Le crépuscule des dinosaures et oeuvrait dans le post rock pour résumer. On les a signés au moment où leur chanteuse, hallucinante mais très pénible à gérer, se barrait. On a donc lancé un casting et Nicolas Ker a surgi avec un catogan, un collier bizarre et sa cargaison de gniole. Ça a tout de suite collé. »
Poni Hoax s’annonce ainsi dès ses origines comme l’union de deux
forces convergentes : d’un côté son fondateur Laurent Bardainne compositeur, saxophoniste et claviériste en rupture du conservatoire de jazz qui a embarqué à ses côtés Nicolas Villebrun à la guitare, Arnaud Roulin aux claviers et Vincent Taeger à la batterie et aux percussions ; de l’autre Nicolas Ker chanteur sous influence et sans bagages qui a fui son Cambodge natal avec l’arrivée des Khmers rouges, s’est retrouvé ballotté d’Istanbul à la Réunion avant d’atterrir à la Courneuve et enfin dans le 16 ème arrondissement de Paris où il découvre la scène : « Mon premier concert à 20 ans a été une véritable révélation sur ma nature profonde. » nous confiait-il « Avant j’étais un mouton, et là, sur scène, c’était comme si on faisait goûter du sang à un loup pour la première fois. » Adieu Math Sup, hello la vie en noir, celle d’une profusion de projets, éphémères et furieux, qui le propulseront jusqu’à Poni Hoax.
Le premier single du groupe, Budapest (chanté par Olga Kouklaki) est tout à la fois une déflagration et une déclaration d’intention. Sombre et sexy, vicieux et obsédant, le morceau dérive, entre cold wave et électro, dans les faubourgs d’une ville sans âme envisagée telle un vaisseau fantôme : personne ne sortira d’ici vivant. Incantation funèbre célébrant le pouvoir cathartique de la disco, le track est aussitôt dans toutes les têtes et place Poni Hoax en antidote radicale d’une scène hexagonale (la nouvelle chanson française) qui assome sous les lamentos bon chic bon genre et les guitares sèches. She’s on the radio imparable second single enfonce le clou dans le cercueil : Poni Hoax n’a aucun rival dans le secteur et s’impose comme une évidence, comme la meilleure promesse que la France est faite à la musique depuis l’invention de la vielle à roue. Produit par Joakim, le premier album, Poni Hoax, élargit le spectre en dix titres majeurs où la voix sépulcrale de Nicolas Ker, esquisse, tel un crooner new wave terminal, la rencontre rêvée entre Frank Sinatra et Giorgio Moroder, entre Nick Cave et Larry Levan, dans un palais des glaces éclairé au néon.
Mais les français font la sourde oreille et le groupe doit se défendre date après date, ville après ville dans des tournées qui laissent des traces. Sur scène c’est l’apocalypse ou la curée, il y a les grands et les petits soirs, l’alchimie qui fait léviter l’assemblée ou la bérézina qui guette et donne envie de tout cramer. Telle une formule 1 conduite par une bande de Gremlins, Poni Hoax est plus d’une fois sorti dans le décor, mais l’entité maléfique a toujours relevé la tête pour reprendre la route coute que coute et foncer, pieds au plancher. Laurent Bardainne et Nicolas Ker ? Satanas et Diabolo en discothèque, Nitro et glycérine dans un champ d’allumettes. A Nicolas, Arnaud et Vincent d’allumer la mèche. On n’a pas le souvenir d’une telle association depuis celle qui vit Daniel Darc et Mirwais faire exploser Taxi Girl en plein vol.
C’est sur le second album de Poni Hoax, Images of Sigrid sorti en 2008 avec à nouveau Joakim aux manettes, que leurs talents conjugués déplace des montagnes. De l’incendiaire The Paper Bride au méditatif Faces in the Water, de Pretty Tall Girls à Hypercommunication en passant par l’implacable Antibodies, le groupe accompli le miracle d’un album qui résonne dès sa sortie comme un classique instantané convoquant aussi bien l’esprit de New Order, des Talking Heads que de Roxy Music. Reconnu par ses pairs, loué par la critique, Poni Hoax ne parvient toujours pas à décrocher la timbale alors qu’il est né pour régner. Dieu reconnaitra les siens et Poni Hoax poursuit son chemin sur un nouveau label, le bien nommé Pan European Recording dirigé avec passion et érudition par Arthur Peschaud qui va donner au groupe les clefs du royaume des cieux : soit deux albums miroirs où le groupe achève son grand œuvre. A la recherche du temps perdu, de son pays oublié, Nicolas Ker part avec A State Of War, sorti en 2013, sur les traces du monde incendié de son enfance puis défie les fuseaux horaires, entre Le Cap, Sao Paolo et Bangkok, pour Tropical Suite sorti en 2017, soit un dernier acte autour du globe en compagnie de ses amis comme pour se dire que l’aventure est sans fin et que rien ne dénouera jamais les liens qui unissent Poni Hoax.
Elle s’achève pourtant avec la tragique disparition de Nicolas Ker survenue le 17 mai 2021 après des années d’excès. Le jour de son enterrement au cimetière du Père-Lachaise, le saxophone de Laurent Bardainne resonnait entre les caveaux et les notes s’élevaient dans le gris du ciel avant de se perdre au firmament. Tel fut le requiem de Poni Hoax.
- Clovis Goux
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