Gaspar Claus

Gaspar Claus est violoncelliste.  

C’est à dire qu’il joue du violoncelle et que tout ce qu’il touche ou presque, il le touche avec son violoncelle. 

C’est à dire que tout ce qu’il pèse du monde qui  l’entoure, il en compare le poids avec celui de son violoncelle, instrument à étreindre, frotter, pincer mais aussi à porter sur son dos à longueur d’arpentages.

Parce qu’aussi bien, Gaspar Claus est arpenteur. Géographe. Pourquoi pas même cartographe : tireur de lignes et d’entrelacs. 

Depuis des années maintenant, on le croise, beaucoup, au gré d’une très tonique et chaleureuse frénésie de rencontres,  chauffant son instrument au service des autres ou le dédiant à d’incongrus dialogues,  inattendus le plus souvent,  de la pop à la musique contemporaine, des traditions plurielles au jazz bruitiste, de la chanson aux musiques électroniques. On l’a vu, entendu, aperçu, deviné avec Rone et Barabara Carlotti, avec Matt Elliott et Stranded HorseSerge Teyssot-Gay et Angélique IonatosJoëlle LéandreMarion CousinJim O’Rourke ou encore Peter Von Poehl et Keiji Haino, également impliqué, également curieux.  De loin on l’a suivi au Japon, en Mongolie, en Islande, au Mali, au Maroc, et de partout on l’a vu revenir enrichi, c’est à dire allégé. 

Ce goût du potlatch et des fécondations spontanées, il en a fait longtemps l’argument d’une personnalité vive et affamée, transformant une forme tendre de cannibalisme amusé en disponibilité humble et vice-versa. C’est cette même curiosité qui le voit diriger patiemment le beau label intitulé « Les disques du Festival permanent » chaleureuse auberge à la table de laquelle vous trouverez  pléthore d’autres aventuriers : Sourdure, Borja FlamesMarc Melià… Une autre façon pour lui de saper toute notion de chapelle et de contrarier les hiérarchies. Il serait dommage, pour autant, à la seule faveur de ces admirables qualités de rassembleur, de négliger l’instrumentiste, le penseur, le compositeur. 

Improvisant seul ou brettant avec son père Pedro Soler, guitariste aux idées larges d’un flamenco tout autant moderne qu’archaïque, membre du trio VACΛRME – avec les violonistes Carla Pallone et Christelle Lassort, ou batifolant de plus en plus sur les partitions de musiques de film (MakalaVif Argent…). Gaspar montre l’importance de ce que sa fréquentation azimutée de toutes les musiques, plutôt que de le disperser aura finalement concentré dans son jeu et son approche théorique, affermissant un vocabulaire toujours plus ouvert et coloré.  

Ainsi Gaspar Claus s’entête à concilier les contraires. A frapper d’ornements baroques ses vitupérations les plus stridentes, à rafraîchir l’écriture dans l’improvisation libre,  à considérer les concepts comme des machines désirables et sensuelles. Dans le corps à corps avec l’instrument ou sur le papier seul, écrivant pour des  ensembles (six violoncelles comme télépathiquement dirigés) ou imaginant de grandes fêtes mentales – ainsi La Nuit en LA qui vit la Philharmonie de Paris résonner d’un seul LA  dix heures d’affilée sous les doigts de neuf musiciens qu’on eût cru hypnotisés, cognant manche en main son propre bois ou écoutant effrontément Eliane RadiguePauline Oliveros  ou La Monte Young (écouter c’est déjà jouer), bref : dans la solitude ou dans l’empreinte maintenue toute chaude des amitiés longuement nourries, Gaspar Claus s’affirme comme un conceptualiste lyrique, tour à tour méditatif et explosif, chérissant les idées pour leurs textures et la matière, inversement, pour ce qu’elle stimule l’imagination, qui est une pensée.

C’est avec hâte que nous attendons ses prochaines tribulations de chef d’orchestre fakir, ses ardents récitals seul en scène, ses partitions à l’écran et toutes les berlues à venir dont, soyons-en sûrs, il ignore lui-même encore tout.

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