B77
On s’imagine souvent que pour créer les œuvres les plus personnelles, les plus originales, les artistes mènent une vie complètement excentrique en dehors des clous de notre société. Eh bien non, pas forcément. La preuve avec le duo suisse B77 dont le premier album, l’extra-ordinaire (en deux mots) The Wonderful Labyrinth of The Mind mérite largement le qualificatif, ô combien galvaudé d’OVNI. Un disque qui excite l’imagination et les sens, comme descendu d’une planète musicale inconnue où le psychédélisme prendrait dans ses bras le rock progressif sur fond d’électro trépidante. Un univers très particulier dans lequel on se laisse emporter. Pourtant, ses deux géniteurs Leopold (33 ans) et Luca (31 ans) n’appartiennent pas à la catégorie des savants fous sonores. Ils se décrivent même comme des êtres “trop normaux”. Tout ça parce que le premier travaille comme postier et livreur pour une boulangerie, tandis que le second gère la stratégie des réseaux sociaux pour la Télévision Radio Suisse Romande. Et si justement ces jobs alimentaires étaient la clé d’une telle liberté dans la création ? Les détachant ainsi des contingences matérielles : pas besoin d’essayer d’entrer absolument dans le moule commercial pour arriver à gagner tant bien que mal sa vie. Ce qui n’empêche pas le duo d’être des fondus du son, de vrais geeks jamais autant à l’aise que lorsqu’ils se retrouvent derrière leurs machines. Tout démarre à Fribourg, leur ville, où ils se rencontrent au début des années 2000. Les deux ado commencent tout de suite à bidouiller du rap, leur première passion musicale. Jusqu’en 2012 ils sont beatmakers et rappeurs. Mais c’est en 2017 que naît vraiment B77 lorsque Leo revient d’Australie et Luca de New York. Des voyages qui leur donnent envie de se confronter à d’autres styles musicaux. Deux accords de piano sur un smartphone est le déclic sur lequel ils vont bâtir cette nouvelle aventure. Et parce qu’il faut bien entendu lui donner un nom, ce sera B77, comme le Revox B77 qui traine dans leur studio. Après quelques titres sortis en indépendant, leur copain d’enfance le chanteur Muddy Monk (“Quand tu vois un ami qui réussit, même si ce n’est pas la même musique, c’est très inspirant”) les présente à son label Half Awake Records. Avec comme premier effet, le “Fleur EP” (2019) l’acte fondateur du projet, alors très imprégné des influences Tame Impala et MGMT. Un coup d’essai déjà prometteur sous forme de matrice pour ce premier album beaucoup plus personnel, libéré de toutes contraintes stylistiques. Avec quand même dans le rétroviseur l’effervescence psychédélique originelle de Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles ou la luxuriance 70’s échevelée de Gentle Giant. Parenthèse : vous en connaissez beaucoup des groupes actuels qui citent comme influence ces Britanniques, légendes du rock progressif ? “Normaux” B77 ? Euh pas vraiment. Nourri à cette sève fourmillante, The Wonderfull Labyrinth of The Mind a été conçu comme une partie de ping-pong entre les deux amis. Sorte de cadavre exquis où chacun dans son antre (Leo est resté à Fribourg, Luca est basé à Lausanne) à son tour rajoute tour à tour sa pierre à un édifice qui n’en finit plus de monter jusqu’à la touche finale proche des cieux qui, elle, sera apportée ensemble en studio. La pochette dessinée par Luca donne le ton d’un disque au final conceptuel, mais dont la trame n’a été trouvée qu’une fois constitué le puzzle de ces morceaux certainement ambitieux. On aura deviné à la lecture de leurs titres “The Forest”, “The Garden”, “The River”, ou encore “The Rain- bow”, qu’il y est question de nature, même si les mots sont plus souvent choisis pour leurs sons que pour leur sens. D’où l’impression d’entrer dans une autre dimension à l’écoute de ses compositions au réel pouvoir hallucinogène. Ce que le tandem veut bien admettre. Lui qui pourtant ne prend aucune drogue. Mais nul besoin de produits chimiques, l’imagination débridée coule naturellement dans leurs veines, et d’une manière spontanée, pas de calcul chez B77. Alors on ferme les yeux, on ouvre les oreilles : “il était une fois l’histoire d’un jeune homme complètement perdu qui cherche à trouver une clairière où il se sentirait mieux.” Laissez-vous emporter dans le voyage initiatique de The Wonderfull Labyrinth of The Mind. Cela fait du bien, surtout en ces temps troublés.
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