Plus d’un dessin témoigne entre les lignes, dans un détail, des moments comme des personnages, qui ont marqué leurs vies croisées. Comme celui de Crash, prétexte à une jam en mode jamaïcain in New York, où l’on voit en lettres capitales le nom d’Hilaire Penda associé à Bumcello à l’Apollo Theater. Décédé le 5 novembre 2018, le bassiste camerounais était plus qu’un ami pour Vincent et Cyril. Il était de la famille. De même ils saluent à travers Zanzi un autre Camerounais, le chanteur des Têtes brûlées Zanzibar, tandis que sur Spark Av, le fantôme de RKK, voix sans pareil de Radio Nova, apparaît au détour d’un sample avec ce qu’il faut d’effets. Quant à l’explicite I Remember Tim, il honore la mémoire de Timothy Jerome Parker, aka The Gift Of Gab, un autre ami de bien longtemps disparu en 2021. C’est lui qui figure sur le dessin, avec en toile de fond les docks d’Oakland, et c’est son alter ego au sein de Blackalicious, Chief Xcel, qui y pose à distance sa pâte, ajoutant notamment les mots de Lateef The Truthspeaker et une section de soufflants.
Ce sont les seuls additifs à cette formule nucléaire qui prend la forme d’un festin de musiques, où Vincent Taurelle, en charge de la production au mixage de ces sessions enregistrées live and direct, est convié à tâter des claviers (piano, synthés, wurlitzer, orgue) sur une poignée de titres. Déjà aux manettes du précédent Monster Talk, toujours soucieux du moindre détail qui fait toute la différence, le pianiste fait désormais lui aussi partie de la famille. « Tout ce qu’il apporte est parfait, que ce soit par petites touches ou parfois par des choix très importants », assurent tout de go les deux membres du combo aux faux airs désormais de trio, ajoutant une dimension à ce grand mix, à l’image des hommages détournés ou explicites qui jalonnent ce recueil.
Booker, un dessin où on les voit entrer à l’intérieur d’un club, honore James Booker, grand pianiste de La Nouvelle Orléans qui fascine Vincent, du style transgenre, du genre décalé, tandis que Her Story a été pensé par Cyril en soutien au mouvement des femmes iraniennes. Aysyen Kampé invoque, jusque dans son dessin, le marqueur que reste pour eux deux la mystique haïtienne, et Ouï Khouïette Ouï évoque la rythmique allaoui, danse guerrière de l’Ouest algérien, qu’ils ont pratiquée par le passé avec Cheikha Rabia. Ils en délivrent une version tendance métal,détonnante et surprenante, quand on sait que le dessin de Marin Ségal figure les Nicholas Brothers, danseurs phares du jazz des années 1930 !
Résolument incernable, la musique de Bumcello peut d’emblée emprunter le chemin d’une house disjonctée, tandis que Sangre prend des atours de bande originale, « en mode mexicain » précise Vincent qui en fut à la genèse. Avec eux, un délicat alap, au violoncelle peut déboucher sur une rythmique afrobeat, une voix bien perchée peut enchanter comme sur le terrible The City Has Eyes qui a tout hit pop qu’on fredonne. Emblématique de cette manière d’embrasser toutes les musiques, sans exclusive, Le Grand Sommeil, allusion non feinte au film d’Howard Hawks d’après Raymond Chandler, « du David Lynch » avant l’heure, commence à la coule et en termine sur un tempo survolté, en mode drum’n’bass, comme au bon vieux temps du Cithéa, où cette histoire de Party a commencé à l’autre siècle.
A2 - Boite Bolide
A3 - Sangre
A4 - Crash
B1 - Booker
B2 - Oui Khouiette Oui
B3 - Le Grand Sommeil
B4 - Spark AV
C1 - Herstory
C2 - Zanzi
C3 - Aysyen KanpÇ
D1 - The City Has Eyes
D2 - La Baleine Bleue
D3 - I Remember Tim
D4 - Afrobeat Rag